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Titre du blog : XVIIIème Festival de Théâtre de Maisons-Laffitte
Auteur : festivalml18
Date de création : 19-03-2009
 
posté le 21-03-2009 à 08:02:27

Samedi 23 mai - 17 h 30 - Ancienne Eglise

Grand Peur et Misère du IIIème Reich, de Bertolt Brecht

Compagnie Emoi (Paris)

 

La pièce de Bertolt Brecht nous dépeint l’Allemagne des années 1933 à 1938. Dans chacun de ses tableaux, à chaque fois sous un éclairage différent, Brecht aborde la question du nazisme, et tente de démontrer comment il a nourri et s’est nourri de nos peurs naturelles dans toutes les situations humaines, dans tous les milieux sociaux. En effet, quel est ce peuple que l’on accuse, à tort ou à raison, de n’avoir su en son temps résister à la peur ? Et quelle peur ? Qu’est-ce que la peur ? La peur de l’Autre, la peur de soi, la peur de soi en l’Autre ?

  

Adultes et adolescents -  1 h 10

 

Quand Bordaçarre rencontre Brecht


 Alors que le public s’installe, discute, cherche sa place, une bande de pantins silencieux déambule lentement sur la scène et dans la salle. Etranges clownsahuris, apeurés, qui scrutent le public ou le plafond, sous l’oeil arrogant d’un homme en uniforme qui les toise en souriant méchamment. Semblant débarquer d’une autre époque, enfermés dans un univers mental qui paraît friser la folie, ils avancent, tels des morts vivants et le public, qui fait maintenant silence, se demande : qui sont-ils ? Un coup de cymbale provoque un sursaut parmi les spectateurs et annonce ce qui va suivre : une plongée fulgurante dans l’écriture de Brecht, portée par la mise en scène époustouflante d’Estelle Bordaçarre. Ce sont d’abord les corps qui parlent, se contorsionnent, se brisent, s’écroulent, se rapetissent, rampent, s’agrippent les uns aux autres, souffrent puis explosent d’énergie à la scène suivante. Entre mime et chorégraphie, le travail des comédiens sur le corps donne à voir cette humanité coincée entre la peur et la honte, masse anonyme dont le langage, d’abord gargouillis inaudible, s’amplifie jusqu’à parfois devenir cri, humain ou animal. Alors, qui sont-ils ? Que disent-ils ? Ils disent des fragments de vie quotidienne, illustrée avec brio par une bande sonore qui accompagne ou étouffe les voix, bruits de botte, envolée classique ou joyeux morceau rappelant le cirque, mais également le parti pris de dire les textes en français et en allemand. A cet égard, Estelle Bordaçarre va au-delà de Brecht et fait retour sur la France, passée et présente. Elle interroge le public sur son histoire, avec « Maréchal, nous voilà », puis fait lire à ses personnages le journal « Minute » et « Le Figaro », ou leur fait dire qu’ils travaillent plus, « pour gagner plus », assimilant la France d’aujourd’hui à celle d’hier... La mise en scène d’Estelle Bordaçarre est réussie, car elle ose dire l’Histoire sans ménagement, tout en laissant le public respirer par des notes d’humour. Le discours hystérique d’un petit dictateur éructant en allemand est glaçant mais ponctué de mots tels que « choucroute » qui libèrent le rire, même si, précisément à ce moment, elle aurait pu s’en abstenir parce que l’humour est présent par ailleurs. La pièce se termine par la projection d’une liste de déportés, déroulée sur fond de musique Yiddish, dont la contrastante gaieté dérange et rappelle, encore une fois, l’horreur de cette période. Les comédiens jouent extrêmement juste et ensemble, avec une cohésion et un travail de groupe qui se ressent, chacun trouvant parfaitement sa place. Quand Bordaçarre rencontre Brecht, cela donne un spectacle original et personnel, porté par une troupe qui n’a rien à envier aux comédiens professionnels, loin s’en faut. 

 

Cécile Chatanet